Pouvez-vous nous présenter le « séminaire Palestine » ?
V. B. : L’EHESS compte des milliers de séminaires, dont plusieurs se tiennent à l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM). Il y a une vingtaine d’années, une nouvelle direction a souhaité complètement redynamiser les travaux sur les mondes arabes et musulmans. Est ainsi née l’idée de monter un séminaire focalisé sur la question palestinienne. Une initiative quasi unique dans le champ académique français.
Normalement, un séminaire ne dure qu’une ou deux années. Celui sur la Palestine s’est transformé en véritable institution, par l’engagement d’universitaires et de chercheurs tels qu’Aude Signoles, au point de se perpétuer dans le temps. Cela me paraît logique dès lors que cette question continue d’être présente au cœur de l’actualité et un sujet d’intérêt pour nombre de chercheurs.
Le séminaire Palestine est un espace de présentation des travaux existants sur ce sujet, en France comme dans les universités étrangères.
Il se veut interdisciplinaire pour donner l’opportunité à une grande diversité de chercheurs d’y assister et d’intervenir : histoire, sociologie, anthropologie, littérature, sciences politiques, mais aussi acteurs culturels ou figures politiques et militantes. Quiconque peut apporter une approche originale sur la Palestine et contribuer à sa compréhension, chercheur confirmé comme jeune étudiant, est le bienvenu.Par exemple, nous collaborons désormais avec le Festival Ciné-Palestine d’Île-de-France.
Nous essayons de mettre l’accent sur les enquêtes de terrain, sans écarter les questionnements théoriques. Chaque année ou tous les deux ans, la problématique change : « Question palestinienne : quelles comparaisons possibles ? », « Frontières, circulations et inégalités », « La Palestine au prisme du colonial » …
Avez-vous constaté une évolution dans la recherche sur la Palestine au sein des universités françaises ?
V. B. : Lorsque j’entre dans le milieu de la recherche, au début des années 2000, il y a énormément de travaux sur la Palestine. Les années 1990 ont été riches en questionnement après le processus d’Oslo et grâce au fort intérêt politique qui entourait le Proche-Orient. Beaucoup de jeunes chercheurs se sont intéressés à la fabrication de l’État, aux modalités de négociations ou au fonctionnement d’un processus de paix, par le biais de la question palestinienne qui était un véritable laboratoire pour de nombreuses disciplines.
Toute cette émulation ne retombe pas dans les années 2000, où d’autres chercheurs vont analyser l’échec du processus d’Oslo mais surtout la seconde intifada avec des problématiques sur le conflit armé, la violence, etc. Bref, il y avait une vraie équipe de chercheurs sur la Palestine et je ne me suis jamais sentie seule ou bloquée parce que je travaillais sur le terrain palestinien, au contraire.
Je daterais un basculement à partir de 2013-2014. La pression sur les universitaires a commencé à être bien plus forte, et ce particulièrement après l’opération israélienne sur la bande de Gaza de l’été 2014. De nombreux chercheurs ont vu leurs travaux remis en question : s’intéresser à la question palestinienne nous rendait partisans, voire complices, du Hamas ou du Jihad islamique palestinien.
Par exemple, le séminaire Palestine était jusqu’à ces années-là une sorte de niche cachée, connu essentiellement par les universitaires. Le grand public ou les politiques ne faisaient pas attention à nous. En multipliant les partenariats à l’international, en invitant des chercheurs du monde entier, notre audience n’a cessé de croître. Soyons clairs, enseigner en France sur la Palestine n’est pas plus compliqué que d’autres conflits. Par exemple, un cours public ou une conférence universitaire sur la guerre en Syrie peuvent tout autant être pointés du doigt par des activistes ou des politiques qui ne partagent pas votre point de vue ou votre approche.
La particularité de la question palestinienne tient aux débats qui ont suivi les tentatives d’assimilation de l’antisionisme à de l’antisémitisme. Si des chercheurs et des journalistes ont démonté cette idée, et qu’elle ne semble pas faire consensus dans la société française, elle permet en tout cas d’instaurer un doute sur la possibilité d’une dérive de l’un vers l’autre, et ainsi de justifier les questionnements sur l’éthique ou les intentions cachés de celles et ceux qui s’intéressent à la Palestine. Prenons un exemple, à mes débuts, nous étions plusieurs à ne pas avoir de mal à s’identifier comme chercheurs et pro-palestinien, parce que cela renvoyait au soutien à une population opprimée et surtout à la défense du droit international. Depuis les débats autour de la manifestation interdite à Paris à l’été 2014, il est très compliqué pour un chercheur de s’affirmer comme tel tant le discours public a réussi à rendre, dans le vocabulaire commun, l’appellation « pro-palestinien » comme quelque chose de malveillant, de controversé. Le raccourci avec le soutien au Hamas est systématiquement fait par ceux qui nous dénigrent.
Ainsi, nous constatons que les chercheurs qui signent des pétitions, participent à des évènements publics au sein du mouvement solidarité, sont remis en question : « sont-ils des idéologues ou des chercheurs ? Sont-ils militants ou scientifiques ? Font-ils de la recherche ou du plaidoyer contre Israël ? ».
Propos recueillis par Thomas Vescovi
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